Si aujourd’hui on célèbre les 20 ans de la
Roumanie dans la francophonie c’est aussi grâce à lui. Un homme qui, à un
moment donné de sa vie, a quitté le journalisme pour se dédier à la diplomatie.
Son dossier préféré: la francophonie. Sa mission: promouvoir la francophonie.
Sa passion: le français. Entretien avec celui, qui selon mon humble opinion,
incarne le mieux la francophonie roumaine: Andrei Magheru.
(L'entretien a publié en mars 2013 dans Bucarest Hebdo lorsque la Roumanie a célébré le 20ème anniversaire depuis son adhésion à la Francophonie institutionnelle- ndlr)
Bucarest Hebdo:
Selon vous, quelle serait la meilleure définition de la Francophonie?
Andrei Magheru:
La francophonie est un état d’esprit. De nos jours elle est devenue une
synthèse entre la raison et l’esprit, l’unité et la différence mais aussi un
frein à l’uniformisation. Et tout cela est illustré par trois simples mots:
Égaux – Différents – Unis.
B.H.: Il y a
parfois des gens qui se demandent si la Roumanie est vraiment francophone ou
plutôt francophile?
A.M.: Je crois
que la Roumanie était et francophone et francophile, mais depuis pas mal de
temps, disons plus d’une décennie, les deux notions commencent à se diluer.
Parce qu’il est évident que le français a été une norme de résistance pour les
Roumains pendant toute l’époque de la dictature totalitaire. Ensuite il y a eu
cette approche pour la France mais nous avons subi et nous subissons encore une
“coca-colonisation” linguistique. Et là, je ne veux pas m’ériger contre
l’anglais mais je suis un adepte de la notion du multilinguisme qui a fait
l’objet de la résolution A/50/147 adoptée lors de la 50ème session de
l’Assemblée générale de l’ONU en 1995. Cette résolution a été demandée par 46
états membres notamment la France et adoptée y compris avec la voix de la
Roumanie. Mais multilinguisme veut dire espagnol, anglais, russe, allemand,
chinois, portugais, etc. Chez nous par contre, il y a, malheureusement, cette
tendance, cette théorie surtout dans la jeunesse qui dit que tout ce qu’il nous
faut ce n’est que l’anglais. Et, soyons sincères, il ne s’agit même pas de
l’anglais, mais d’un “basic american” de 400 mots parfois très mal maîtrisé qui
comprend des éléments du langage de l’informatique, de la musique pop et du
langage parlé dans tous les hôtels du monde. Qui n’est pas du tout des meilleurs…
B.H.: Quelles ont
été les raisons qui ont déterminé la Roumanie, les autorités de l’époque
d’inscrire notre pays sur l’orbite de la francophonie il y a plus de 20 ans
déjà?
A.M.: C’était en
1991, au Sommet de Chaillot, que nous avons été reçus avec le statut de pays
observateur, puis nous avons milité pour qu’au Sommet de 1993 de l’Ile Maurice
on puisse accéder au statut de membre à part entière. Je crois que la
francophonie avait une longue tradition en Roumanie, une tradition qui remonte
aux XVIIème - XVIIIème siècles à la Cour princière des phanariotes où les
femmes de ces princes grecs envoyés par la Porte ottomane avaient fait des
études à Paris, lisaient beaucoup de littérature française. Ce sont elles qui
ont imposé le français à la Cour princière de Valachie. N’oublions pas aussi
qu’Alexandru Ipsilante, un de ces princes phanariotes a introduit, par un
décret princier, l’obligation pour les enfants à partir de 7-8 ans d’apprendre
le français dès leurs premières classes élémentaires. Ensuite on a commencé à
jouer du théâtre à la Cour. On a joué d’abord en français, puis on a traduit
des pièces classiques, surtout Racine, Corneille, Boileau, Molière et j’en
passe. Et ensuite toute l’histoire de la culture roumaine est jumelée si vous
voulez avec la culture française. En plus il y a eu l’appui politique de la
France. Rappelons l’appui de la France à l’union de la Valachie et de la
Moldavie en 1859 ou pendant la Guerre d’Indépendance de 1877. Après la Première
Guerre Mondiale, nous avons également bénéficié de l’appui de la France dans la
création de l’État national roumain en 1918, suite au Traité de Trianon.
Ajoutons à toutes ces considérations d’ordre historique et politique une
dimension essentielle, celle culturelle. Il s’agit de toutes ces personnalités
culturelles qui ont appartenu et à la Roumanie et à la France comme Enesco,
Brancusi, Cioran, Eliade et la liste en est longue. Je pense aussi que sur le
plan linguistique ces affinités existent étant donnée la latinité de nos
langues et nos cultures. Tout cela nous a rapproché les uns des autres.
B.H.: Vous avez
suivi de très près ce parcours de la Roumanie dans la Francophonie à
différentes étapes. De votre point de vue on a évolué ou on a stagné en quelque
sorte?
A.M.: Au début
nous avons avancé très rapidement. Nous avons eu un appui formidable notamment
sur le plan de l’enseignement puisque nous sommes devenus membres de l’AUF.
Nous avons eu beaucoup d’échanges d’étudiants, beaucoup d’étudiants roumains
qui ont fait leurs études en France ou dans d’autres pays francophones.
Pratiquement dans tous les domaines on s’est beaucoup impliqué dans les
activités de la Francophonie. Maintenant, je pense que les choses se sont
diluées un peu et même la Francophonie est elle aussi en voie de dissolution.
B.H.: Dans votre
vie il y a deux grands amours: votre épouse, Mme Valeria Gagealov, une des
grandes comédiennes de la scène roumaine et la langue française. Quelles sont
les origines de votre belle histoire d’amour pour la langue de Molière?
A.M.: C’est très
simple. Pour moi le français c’est ma deuxième langue paternelle. Parce que
j’ai commencé à l’apprendre vers l’âge de trois ans à cause du fait que mon
père, lorsqu’il voulait parler à ma mère des choses que je ne devais pas
entendre, il parlait en français. Ensuite lorsque j’étais à l’école j’ai
commencé à lire énormément. Lors de mon adolescence j’ai lu tous les grands
maîtres de la littérature française classique: Gide, Anatole France, Paul
Valéry, Marcel Proust, Victor Hugo, et j’en passe. J’ai été ensorcelé par la
subtilité et la beauté de la langue française de ses grands écrivains et
surtout de ses grands stylistes de la langue qui, malheureusement, n’existent
plus. La plupart de ces grands auteurs ont été un peu oubliés de nos jours en
France. Ensuite le hasard, qui fait parfois très bien les choses, a agit dans
ce sens de mon amour pour la langue et la culture françaises. Et tout au long
de ma vie active j’ai servi la langue française parce que j’ai fait des études
de philologie à l’Université de Bucarest, Département de français. Ma maîtrise
était intitulée “La structure poétique de l’œuvre de Paul Valéry” qui est
d’ailleurs mon poète préféré. Ensuite j’ai travaillé à la radio, aux émissions
en langue française de Radio Bucarest, actuellement Radio Roumanie
International. Après la révolution de décembre 1989 j’ai été appelé à
l’Ambassade de Roumanie à Paris par M. l’Ambassadeur Alexandru Paleologu et
j’ai été chargé des dossiers concernant la culture et ensuite la francophonie.
D’ailleurs je ne vous cache pas que la Francophonie a été mon dossier de cœur
tout au long de ma carrière diplomatique.
B.H.: Pourquoi
aimez-vous tant le français?
A.M.: Parce que
c’est une langue musicale et moi j’aime beaucoup la musique. C’est une sorte
d’incantation surtout de la part des grands écrivains. Et en plus j’aime
énormément la France profonde que j’ai connue lorsque j’étais en poste à Paris
entre 1991 et 1995. Et j’adore Paris, qui est l’âme de la France.
B.H.: Au cours de
votre carrière en tant que journaliste, en tant que diplomate vous avez connu
énormément de personnalités du monde francophone. Quelles sont les
personnalités qui vous ont impressionné le plus, qui vous ont marqué le plus?
A.M.: En tant que
journaliste à la radio j’ai interviewé tous les francophones de marque qui
venaient en Roumanie. J’ai fait, je crois, en 27 ans de radio, entre 12 000 et
13 000 interviews, mais il y a eu certainement des gens qui m’ont énormément
impressionné. Je commencerais par René Maheu, l’un des grands directeurs de l’UNESCO.
C’est celui qui a démonté le temple d’Abou Simbel et l’a reconstruit sur la
colline car autrement il risquait d’être englouti par le barrage d’Assouan. Il
a eu aussi une action pour sauver Venise, menacée de d’effondrement. Il était
un homme d’une force et d’une intelligence formidable. L’entretien avec lui?
Des étincelles à chaque phrase. Une autre personnalité qui m’a impressionné a
été Valéry Giscard d’Estaing qui, par exemple, en quatre minutes disait ce
qu’un autre pourrait dire en six minutes. Ou Alain Poher, président du Sénat
français. Ou Jean-Louis Barrault, avec son charisme personnel extraordinaire,
qui est venu à Bucarest avec “Rhinocéros”. Ou encore André Lwoff, Nobel de
Médecine ou Maurice Schuman que j’ai interviewé une fois comme ministre de la
technologie et de l’espace et ensuite comme ministre des Affaires Etrangères.
Ou Alain Robbe-Grillet avec son esprit un peu provocateur…
B.H.: Vous aimez
le mot et la parole en même temps. Comment conciliez-vous les deux?
A.M.: Je ne vois
pas de frontière entre les deux, c’est une symbiose parfaite, je pense.
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