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marți, 15 aprilie 2014

M. Andrei Magheru “La francophonie est un état d’esprit!”


Si aujourd’hui on célèbre les 20 ans de la Roumanie dans la francophonie c’est aussi grâce à lui. Un homme qui, à un moment donné de sa vie, a quitté le journalisme pour se dédier à la diplomatie. Son dossier préféré: la francophonie. Sa mission: promouvoir la francophonie. Sa passion: le français. Entretien avec celui, qui selon mon humble opinion, incarne le mieux la francophonie roumaine: Andrei Magheru.
(L'entretien a publié en mars 2013 dans Bucarest Hebdo lorsque la Roumanie a célébré le 20ème anniversaire depuis son adhésion à la Francophonie institutionnelle- ndlr) 
M. l'Ambassadeur Andrei Magheru a été récompensé par le GADIF en  2013 avec le Prix pour la personnalité francophone lors de la soirée de gala organisée à l'occasion de la Journée internationale de la Francophonie. 


Bucarest Hebdo: Selon vous, quelle serait la meilleure définition de la Francophonie?
Andrei Magheru: La francophonie est un état d’esprit. De nos jours elle est devenue une synthèse entre la raison et l’esprit, l’unité et la différence mais aussi un frein à l’uniformisation. Et tout cela est illustré par trois simples mots: Égaux – Différents – Unis.

B.H.: Il y a parfois des gens qui se demandent si la Roumanie est vraiment francophone ou plutôt francophile?
A.M.: Je crois que la Roumanie était et francophone et francophile, mais depuis pas mal de temps, disons plus d’une décennie, les deux notions commencent à se diluer. Parce qu’il est évident que le français a été une norme de résistance pour les Roumains pendant toute l’époque de la dictature totalitaire. Ensuite il y a eu cette approche pour la France mais nous avons subi et nous subissons encore une “coca-colonisation” linguistique. Et là, je ne veux pas m’ériger contre l’anglais mais je suis un adepte de la notion du multilinguisme qui a fait l’objet de la résolution A/50/147 adoptée lors de la 50ème session de l’Assemblée générale de l’ONU en 1995. Cette résolution a été demandée par 46 états membres notamment la France et adoptée y compris avec la voix de la Roumanie. Mais multilinguisme veut dire espagnol, anglais, russe, allemand, chinois, portugais, etc. Chez nous par contre, il y a, malheureusement, cette tendance, cette théorie surtout dans la jeunesse qui dit que tout ce qu’il nous faut ce n’est que l’anglais. Et, soyons sincères, il ne s’agit même pas de l’anglais, mais d’un “basic american” de 400 mots parfois très mal maîtrisé qui comprend des éléments du langage de l’informatique, de la musique pop et du langage parlé dans tous les hôtels du monde. Qui n’est pas du tout des meilleurs…

B.H.: Quelles ont été les raisons qui ont déterminé la Roumanie, les autorités de l’époque d’inscrire notre pays sur l’orbite de la francophonie il y a plus de 20 ans déjà?
A.M.: C’était en 1991, au Sommet de Chaillot, que nous avons été reçus avec le statut de pays observateur, puis nous avons milité pour qu’au Sommet de 1993 de l’Ile Maurice on puisse accéder au statut de membre à part entière. Je crois que la francophonie avait une longue tradition en Roumanie, une tradition qui remonte aux XVIIème - XVIIIème siècles à la Cour princière des phanariotes où les femmes de ces princes grecs envoyés par la Porte ottomane avaient fait des études à Paris, lisaient beaucoup de littérature française. Ce sont elles qui ont imposé le français à la Cour princière de Valachie. N’oublions pas aussi qu’Alexandru Ipsilante, un de ces princes phanariotes a introduit, par un décret princier, l’obligation pour les enfants à partir de 7-8 ans d’apprendre le français dès leurs premières classes élémentaires. Ensuite on a commencé à jouer du théâtre à la Cour. On a joué d’abord en français, puis on a traduit des pièces classiques, surtout Racine, Corneille, Boileau, Molière et j’en passe. Et ensuite toute l’histoire de la culture roumaine est jumelée si vous voulez avec la culture française. En plus il y a eu l’appui politique de la France. Rappelons l’appui de la France à l’union de la Valachie et de la Moldavie en 1859 ou pendant la Guerre d’Indépendance de 1877. Après la Première Guerre Mondiale, nous avons également bénéficié de l’appui de la France dans la création de l’État national roumain en 1918, suite au Traité de Trianon. Ajoutons à toutes ces considérations d’ordre historique et politique une dimension essentielle, celle culturelle. Il s’agit de toutes ces personnalités culturelles qui ont appartenu et à la Roumanie et à la France comme Enesco, Brancusi, Cioran, Eliade et la liste en est longue. Je pense aussi que sur le plan linguistique ces affinités existent étant donnée la latinité de nos langues et nos cultures. Tout cela nous a rapproché les uns des autres.

B.H.: Vous avez suivi de très près ce parcours de la Roumanie dans la Francophonie à différentes étapes. De votre point de vue on a évolué ou on a stagné en quelque sorte?
A.M.: Au début nous avons avancé très rapidement. Nous avons eu un appui formidable notamment sur le plan de l’enseignement puisque nous sommes devenus membres de l’AUF. Nous avons eu beaucoup d’échanges d’étudiants, beaucoup d’étudiants roumains qui ont fait leurs études en France ou dans d’autres pays francophones. Pratiquement dans tous les domaines on s’est beaucoup impliqué dans les activités de la Francophonie. Maintenant, je pense que les choses se sont diluées un peu et même la Francophonie est elle aussi en voie de dissolution.

B.H.: Dans votre vie il y a deux grands amours: votre épouse, Mme Valeria Gagealov, une des grandes comédiennes de la scène roumaine et la langue française. Quelles sont les origines de votre belle histoire d’amour pour la langue de Molière?
A.M.: C’est très simple. Pour moi le français c’est ma deuxième langue paternelle. Parce que j’ai commencé à l’apprendre vers l’âge de trois ans à cause du fait que mon père, lorsqu’il voulait parler à ma mère des choses que je ne devais pas entendre, il parlait en français. Ensuite lorsque j’étais à l’école j’ai commencé à lire énormément. Lors de mon adolescence j’ai lu tous les grands maîtres de la littérature française classique: Gide, Anatole France, Paul Valéry, Marcel Proust, Victor Hugo, et j’en passe. J’ai été ensorcelé par la subtilité et la beauté de la langue française de ses grands écrivains et surtout de ses grands stylistes de la langue qui, malheureusement, n’existent plus. La plupart de ces grands auteurs ont été un peu oubliés de nos jours en France. Ensuite le hasard, qui fait parfois très bien les choses, a agit dans ce sens de mon amour pour la langue et la culture françaises. Et tout au long de ma vie active j’ai servi la langue française parce que j’ai fait des études de philologie à l’Université de Bucarest, Département de français. Ma maîtrise était intitulée “La structure poétique de l’œuvre de Paul Valéry” qui est d’ailleurs mon poète préféré. Ensuite j’ai travaillé à la radio, aux émissions en langue française de Radio Bucarest, actuellement Radio Roumanie International. Après la révolution de décembre 1989 j’ai été appelé à l’Ambassade de Roumanie à Paris par M. l’Ambassadeur Alexandru Paleologu et j’ai été chargé des dossiers concernant la culture et ensuite la francophonie. D’ailleurs je ne vous cache pas que la Francophonie a été mon dossier de cœur tout au long de ma carrière diplomatique.

B.H.: Pourquoi aimez-vous tant le français?
A.M.: Parce que c’est une langue musicale et moi j’aime beaucoup la musique. C’est une sorte d’incantation surtout de la part des grands écrivains. Et en plus j’aime énormément la France profonde que j’ai connue lorsque j’étais en poste à Paris entre 1991 et 1995. Et j’adore Paris, qui est l’âme de la France.

B.H.: Au cours de votre carrière en tant que journaliste, en tant que diplomate vous avez connu énormément de personnalités du monde francophone. Quelles sont les personnalités qui vous ont impressionné le plus, qui vous ont marqué le plus?
A.M.: En tant que journaliste à la radio j’ai interviewé tous les francophones de marque qui venaient en Roumanie. J’ai fait, je crois, en 27 ans de radio, entre 12 000 et 13 000 interviews, mais il y a eu certainement des gens qui m’ont énormément impressionné. Je commencerais par René Maheu, l’un des grands directeurs de l’UNESCO. C’est celui qui a démonté le temple d’Abou Simbel et l’a reconstruit sur la colline car autrement il risquait d’être englouti par le barrage d’Assouan. Il a eu aussi une action pour sauver Venise, menacée de d’effondrement. Il était un homme d’une force et d’une intelligence formidable. L’entretien avec lui? Des étincelles à chaque phrase. Une autre personnalité qui m’a impressionné a été Valéry Giscard d’Estaing qui, par exemple, en quatre minutes disait ce qu’un autre pourrait dire en six minutes. Ou Alain Poher, président du Sénat français. Ou Jean-Louis Barrault, avec son charisme personnel extraordinaire, qui est venu à Bucarest avec “Rhinocéros”. Ou encore André Lwoff, Nobel de Médecine ou Maurice Schuman que j’ai interviewé une fois comme ministre de la technologie et de l’espace et ensuite comme ministre des Affaires Etrangères. Ou Alain Robbe-Grillet avec son esprit un peu provocateur…

B.H.: Vous aimez le mot et la parole en même temps. Comment conciliez-vous les deux?
A.M.: Je ne vois pas de frontière entre les deux, c’est une symbiose parfaite, je pense. 

David Bongard : « La Roumanie reste encore aujourd’hui un fer de lance de la francophonie »



Après cinq ans et quatre mois, la mission de David Bongard, chef de l’Antenne régionale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a pris fin. Depuis trois semaines il a déjà repris ses nouvelles responsabilités à Port-au-Prince, en Haïti, en tant que Directeur du Bureau régional de l’OIF pour les pays de la Caraïbe. Et comme je le connais, il s’est déjà investi personnellement et professionnellement beaucoup. Comme il l’a fait aussi dès son arrivée à Bucarest en novembre 2008. Cette année, moi personnellement, j’ai décidé de célébrer la Journée Internationale de la Francophonie le 15 avril (et non pas le 20 Mars, comme les autres 200 millions de francophones des quatre coins du monde) pour rendre ainsi hommage et remercier dans la mesure du possible David Bongard pour tout ce qu’il a fait pour moi, pour Bucarest Hebdo. Joyeux  anniversaire, David Bongard et un grand merci pour tout!

Comment a été pour vous, David Bongard cette longue mission en Roumanie?
David Bongard : Je souhaiterais d’abord remercier l’engagement des journalistes de Bucarest Hebdo  qui, pendant de nombreuses années, ont accompagné l’OIF dans ses efforts pour relater tout ce qui se passait en termes de langue française mais aussi toutes les valeurs qui sont incarnées notamment par cette langue. Mon séjour en Roumanie fut de cinq ans, cinq ans qui fussent extrêmement variées, extrêmement riches car je ne peux pas parler de similitude des dossiers. Tous les jours étaient différents que ce soit ici en Roumanie ou dans les cinq autres pays de la région que nous couvrons depuis Bucarest : l’Albanie, l’ex République yougoslave de Macédoine, l’Arménie, la Bulgarie et la République de Moldavie. Ce fut un enseignement humain, un enseignement intellectuel extrêmement riches en termes professionnels et personnels et qui vont m’accompagner dans ma nouvelle tranche de vie que sera ma nouvelle affectation dans les pays  de la  Caraïbe.

Quel a été le moment le plus important de ce  mandat de cinq ans en Roumanie?
D.B. : Il est extrêmement difficile que d’extraire un seul moment car tous les moments sont importants soit par leur impact politique, soit par leur impacte symbolique soit par leur impacte personnel. Il m’est donc difficile de faire un palmarès de ces moments forts que j’ai pu vivre ici en Roumanie ou dans les pays de l’Europe centrale et orientale. Mais néanmoins, l’élément principal e été de me transformer, de me muer en diplomate ce qui n’était pas chose acquise. Comme vous le  savez, mes expériences passées étaient plutôt dans le domaine des médias, de la presse.  Cela a été pour moi un nouvel apprentissage que de travailler dans un monde de diplomatie, un monde du verbe et du mot que ce soit en langue française ou dans d’autres langues.

Quel a été le plus grand défi de cette période?
D.B. : Le plus grand défi a été de pouvoir consolider et surtout conserver notre place ici en Europe centrale et orientale. Et je suis content que dans cet effort-là, les pays nous ont accompagné et que la Roumanie a désormais décidé de mettre à disposition de nouveaux locaux pour le Bureau régional de l’OIF que nous devrions occuper cette année. Nous sommes en train de finaliser un certain nombre de détails juridiques, etc., mais j’espère qu’une inauguration soit faite à la rentrée.
C’est de bon augure pour notre présence à long terme dans la région et qui va, automatiquement engendrer une décentralisation, une déconcentration de nos programmes depuis notre siège parisien auprès des régions. Cet élément est particulièrement important dans le redéploiement de notre organisation sur le plan de régions.

Quel est votre plus grand regret de cette période?
D.B. : C’est une question que beaucoup de vos confrères m’ont posée. Tout dépend si c’est au niveau professionnel ou au niveau privé.
Si on parle au niveau privé, comme vous le savez, je suis un amateur de la faune, de la biodiversité, un inconditionnel des beautés de l’environnement. Un petit regret c’est que les Roumains ne sont pas toujours conscients des trésors qu’ils ont. Simplement pour mentionner le Danube qui est unique en Europe, sinon dans le monde. Un de mes grands regrets personnels dans ce cadre-là est de ne pas avoir vu le fameux ours des Carpates.

Et au niveau professionnel?
D.B. : J’aurais souhaité que les choses se passent peut-être plus rapidement sur un certain nombre de sujets, de dossiers. Néanmoins on les a vus aboutir, mais si on avait pu les finaliser un peu en amont on aurait pu étoffer notre présence en Europe centrale et orientale de manière idoine et en fonction des réalités, des besoins  des pays.

Pourriez-vous nous donner des détails sur ces dossiers?
D.B. : Des dossiers comme ceux que j’ai mentionnés auparavant comme les locaux qui ont été mis à disposition. Mais cela fut un travail de longue haleine. J’aurais souhaité que cela puisse s’organiser un peu en amont car on aurait pu renforcer nos capacités en matière de ressources financières ou humaines pour pouvoir être prêts à recevoir déjà les programmes ou les projets qui auraient pu être perçus ou préfigurés comme décentralisables depuis Paris. La région compte peu de personnel. Nous disposons de deux personnes fixes ici à Bucarest et de deux personnes fixes à Sofia, dans le cadre du Crefeco,  appuyées parfois  par des ressources extérieures comme peuvent être des volontaires internationaux, des stagiaires ou les autres. Donc une tout petite équipe pour un espace extrêmement grand. Mon autre grand regret est aussi que je n’ai pas toujours pu accorder une attention égale à l’ensemble des pays. Bien entendu, mon attention était essentiellement portée sur la Roumanie, sur la Bulgarie et la République de Moldavie peut-être au détriment des autres pays de la région à l’instar de l’ex République yougoslave de Macédoine, de l’Albanie, de l’Arménie. Donc, le regret de n’avoir pas pu m’investir partout d’une manière égale sur l’ensemble des pays couverts par l’APECO.

La Roumanie vous semble-t-elle plus ou moins francophone aujourd’hui que lors de votre arrivée ?
D.B. : Je ne suis pas la bonne personne qui pourrait répondre à cette question tout simplement parce je suis biaisé à force de rencontrer que des francophones. Je constate que d’autres langues coexistent en Roumanie, des langues qui appartiennent au territoire roumain comme l’hongrois, l’allemand ou le romi. La Roumanie est un pays plurilingue par nature, par définition et d’autres langues se voient octroyer un espace en fonction de paramètres internationaux. Il y a bien évidemment l’anglais mais il y a beaucoup de Roumains qui ont travaillé ces dernières années en Italie, en Espagne qui sont de retour dans le pays aujourd’hui avec aussi des bagages linguistiques et qui participent ainsi à la diversité linguistique du pays. La diversité linguistique romaine est toujours bel et bien présente. La langue française  a perdu un peu de terrain  mais elle reste encore extrêmement bien ancrée et bien représentée au niveau des cursus et des curricula des universités mais aussi dans l’enseignement secondaire. Donc la Roumanie reste encore aujourd’hui un fer de lance de la francophonie.